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Protocoles, questions / réponses : que reste-t-il de l’État de droit ?

Protocoles, questions / réponses : que reste-t-il de l’État de droit ?

La crise sanitaire Covid a conduit le Ministère du Travail à démultiplier la diffusion de règles par des voies alternatives à la publication de Lois et de Décrets. Ont ainsi fleuri depuis le confinement : protocole sanitaire national ; questions/ réponses thématiques ; modes d’emploi ; fiches conseils … pour ne pas évoquer les annonces de règles comminatoires par interviews sur les chaines infos ou de tweets.

La crise Covid n’a cependant été qu’un coup d’accélérateur à ce « droit souple » (softlaw) qui était déjà utilisé depuis plusieurs années à dose plus modérée (exemples : guide de l’épargne salariale ; guide des décisions administratives en matière de licenciement des salariés protégés ; questions-réponses).

Les justifications affichées pour cette évolution paraissent louables : rendre très concrète la règle de droit par des supports accessible au plus grand nombre.

Est-ce grave ? Y a-t-il lieu de s’en inquiéter ? La réponse est très clairement oui.

L’instrumentalisation du « droit souple » porte un triple manquement :

  • Manquement à la légitimité politique et juridique
  • Manquement à nos règles de démocratie sociale
  • Manquement aux principes même d’un Etat de droit

Est-ce grave ? Y a-t-il lieu de s’en inquiéter ? La réponse est très clairement oui.

L’instrumentalisation du « droit souple » porte un triple manquement :

  • Manquement à la légitimité politique et juridique
  • Manquement à nos règles de démocratie sociale
  • Manquement aux principes même d’un Etat de droit

Manquement à la légitimité politique tout d’abord. L’élaboration de règles juridiques contraignantes est confiée par notre Constitution au Parlement qui débat puis vote la Loi et pour les modalités d’exécution au Premier Ministre par l’adoption de Décrets d’application. Respecter ce cadre c’est tout d’abord respecter la souveraineté populaire : il n’appartient pas à l’administration centrale, quelle que soit la qualité de son travail, de définir des règles sanctionnables mais cette légitimité est détenue par les seuls élus de la Nation. Le process législatif ou réglementaire est aussi une source de qualité et de conformité. L’intervention du Conseil d’Etat et, le cas échéant du Conseil Constitutionnel avant entrée en vigueur d’une norme est une sécurité juridique importante pour le citoyen que le droit souple conduit à faire disparaitre.

Manquement à la démocratie sociale. La Loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social organise une concertation obligatoire avec les partenaires sociaux sur tous les nouveaux textes sociaux. Cette Loi souhaitée par le Président Chirac a un objectif clair : imposer un temps de concertation pour permettre au politique de se confronter aux enjeux de terrain tant pour les salariés que les entreprises. C’est le socle d’une démocratie sociale. Recourir au droit souple pour créer une obligation nouvelle pour les entreprises ; permet de by-passer cette obligation. Gain de temps, gain d’efficacité diront certains mais que reste-t-il alors du dialogue social et de l’appropriation des réalités concrètes du terrain. Retour vers l’éternel mal français de la centralisation et à la tentation d’un dirigisme jacobin où d’un bureau parisien on prétend mieux connaître que le terrain les enjeux ….

Enfin, grave manquement à l’Etat de droit. Le Conseil d’Etat a jugé dans un arrêt du 19 octobre 2020, que le protocole sanitaire est un ensemble de recommandations constituant la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur. Il juge que le protocole sanitaire n’a pas de force contraignante et de ce fait il ne peut être challengé en justice. Les entreprises se trouvent donc aujourd’hui confrontées à un Ministère du Travail exigeant le respect de ce protocole et menaçant de sanctions sans que l’on puisse identifier le fondement juridique de ces éventuelles sanctions et sans aucun recours juridique direct contre ce texte. Le recours au « droit souple » permet donc de denier tout accès au juge et laisse l’entreprise sans recours direct effectif face à des positions arbitraires de l’administration. Etat de Droit …. Où le Covid t’a-t-il emporté ?

Protocole sanitaire, Q/R et autres guides s’ils témoignent d’un affichage moderne et bien intentionné, n’en sont pas moins les fers de lance d’une régression très profonde de l’Etat de droit et de la démocratie sociale. Que nous soyons en accord ou en désaccord avec le contenu de ces documents sur le fond, on ne peut que profondément s’alarmer de cette dérive. En tant qu’avocats notre vigilance sur ces dérives restera maximale et nous restons combatifs au côté des entreprises dont les droits se trouveraient ainsi attaqués.
Espérons un retour à la raison de notre administration du travail et à cette maxime de la sagesse populaire si précieuse en temps de crise : « L’heure fuit, le droit demeure. »

Dorian JARJAT

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