Licenciement pour inaptitude : l’étendue de l’obligation de reclassement dans un groupe
Me Dorian JARJAT commente aux Pages de jurisprudence Sociale de Décembre 2014 une jurisprudence relative à l’étendue de l’obligation de reclassement en cas de licenciement pour inaptitue au sein d’un groupe
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EXPOSE des faits.
Un salarié occupant le poste d’opérateur béton est déclaré inapte à son poste de travail et se voit reconnaitre travailleur handicapé.
Le salarié a néanmoins pu reprendre sur un poste administratif spécialement créé à son intention dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique validé par le médecin du travail.
Suite à un nouveau malaise grave sur ce poste, le salarié est examiné par le médecin du travail qui constate l’échec du reclassement sur le poste spécialement aménagé et le déclare définitivement inapte à son poste d’opérateur béton.
Au terme de recherches de reclassement au sein de l’ensemble du groupe, la société n’ayant pu identifier de solutions de reclassement, elle procède au licenciement pour inaptitude du salarié.
Celui-ci conteste la validité du licenciement pour inaptitude au motif que le poste de reclassement qui lui avait été proposé nécessitait une formation qui ne lui avait pas été donnée et que les recherches de reclassement dans le groupe ne s’appuyaient pas sur ses compétences résiduelles.
Le conseil de prud’hommes d’Annecy puis la Cour d’appel de Chambéry valident la démarche de reclassement et le licenciement pour inaptitude prononcé.
OBSERVATIONS
Dans cet arrêt, la Cour d’appel de Chambéry est amenée à apprécier la qualité de la démarche de reclassement conduite par l’employeur sur deux plans : le caractère suffisant ou non des efforts d’adaptation d’un poste de reclassement et la précision des recherches de reclassement auprès des autres entités du groupe.
La Cour d’appel de Chambéry rappelle à titre liminaire le caractère d’obligation de moyens renforcée et non d’obligation de résultats, de l’obligation de reclassement. En effet, si l’employeur doit rechercher de manière loyale l’ensemble des possibilités de reclassement tant au sein de l’entreprise que du groupe auquel elle appartient, le constat d’une impossibilité objective au terme de ces démarches le libère de son obligation.
Appliquant ce principe aux efforts entrepris pour proposer un poste de travail aménagé, la Cour relève les points suivants :
– Le poste de reclassement avait été spécialement créé pour le salarié et avait été aménagé conformément aux préconisations du médecin du travail et en partenariat avec les organismes de prévention du handicap ;
– La prise de poste ne nécessitait aucune formation particulière, les taches étant très simples et ne supposant aucune connaissance informatique ;
– Une structure d’aide et de suivi spécifique avait été mis en place et le salarié était encadré et aidé quasi quotidiennement.
Elle donne donc acte à l’employeur du parfait accomplissement de son obligation de reclassement interne et d’adaptation.
On ne peut qu’approuver la position de la Cour. En effet, si l’employeur a l’obligation légale de mettre en place les mesures de transformations de postes possibles pour reclasser le salarié (art. L 1226-2 Code du Travail), la limite naturelle de cette démarche est que le poste ainsi aménagé doit rester un véritable poste de travail pourvu de tâches contribuant au fonctionnement normal de l’entreprise.
Au cas présent, les éléments mis en évidence par la Cour témoignent de la très forte implication de l’employeur dans l’aménagement de ce poste ; implication d’autant moins discutable qu’effectuée tant en liaison avec la médecine du travail qu’avec les partenaires institutionnels spécialisés dans l’aménagement de poste des travailleurs handicapés. Ils attestent également du fait que l’employeur ne s’est pas soustrait à un besoin de formation d’adaptation qui n’existait pas compte tenu de la nature des tâches ; manquement qui aurait été sanctionnable (Cass. Soc. 7 mars 2012 n°11-11.311)
L’échec de la tentative de reclassement sur ce poste aménagé ne pouvant être imputé à une insuffisance d’adaptation du poste ou de formation, la contestation du salarié sur ce point est écartée.
Il en sera de même, de la critique de la démarche de reclassement au niveau du groupe
S’il n’est plus à rappeler que l’obligation de reclassement s’applique à l’ensemble des sociétés d’un groupe, il convient d’insister sur la nécessaire personnalisation de cette recherche tant au regard des qualifications du salarié que des restrictions médicales existantes.
La Cour de cassation sanctionne ainsi l’employeur qui « s’était borné à adresser aux sociétés du groupe un courriel circulaire ne comportant aucune indication relative notamment à l’ancienneté, le niveau et la compétence du salarié et ne justifiait d’aucune recherche personnalisée et loyale des possibilités de reclassement » (Cass. Soc. 21 novembre 2012 n°11-23.829).
En l’espèce, la Cour met en évidence le caractère personnalisé de la démarche en s’appuyant sur les éléments suivants : courrier très circonstancié et intégrant les préconisations du médecin du travail ainsi qu’un descriptif des difficultés rencontrées par le salarié et communication du C.V. du salarié. Une parfaite visibilité était donc offerte aux autres sociétés du groupe.
Elle met ensuite en évidence, le caractère loyal et sérieux des recherches en relevant d’une part le fait que l’ensemble des sociétés du groupe avaient bien été sollicités et d’autre part le fait que 9 d’entre elles avaient expressément répondu par la négative.
Les recherches de reclassement sont donc jugées sérieuses au terme d’une décision parfaitement conforme à l’état de la jurisprudence.
Au-delà, cet arrêt permet de mettre en lumière ce qu’est une procédure de reclassement conduite avec attention et loyauté par un employeur. Que cet exemple soit source d’inspiration !